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    Un dessus, un dessous, un petit coup par ci, un petit coup par là, un doigt pour couronner le tout, et que je te frotte les côtes, un à l'endroit, un à l'envers, et que je t'attrape le brin et que je passe sous les bouclettes. A peine essoufflé, le coeur juste ce qu'il faut à battre la chamade, l'outil toujours gaillard, et c'est reparti, on remet ça.

Ainsi, de fil en aiguille, s'assemblent les mailles du plaisir, ainsi s'échelonnent les rangs de l'amour, ainsi s'en va prendre forme le tricot de l'affection. En mailles plus ou moins régulières, en rangs plus ou moins uniformes, le patron plus ou moins respecté, s'ajoutent un maintenant au tout à l'heure, un tout de suite au maintenant, s'ajoutent un espoir à l'attente, un désir à l'espoir.
Pas de jacquard, de mosaïque, de torsades ni de biaiseries, non, rien qu'une trame triquotidienne en méandres quasi habituelles mais néanmoins mystérieuses; rien de trop sophistiqué ou tordu; pas de mailles manquées, à peine des mailles glissées. Le tricot est fait pour tenir chaud, c'est l'important. Mais pourtant pas de jersey trop basique et serré, mais une trame aux allures naturelles, souples et aérées; presque un jardin à l'anglaise dont l'oeil et l'âme du barbouilleur se délecteraient, la rapine facile, le pinceau obstiné caressant ou chargeant la toile avec grâce ou vigueur.

 

Là, il est bon de le dire, même si on le voit bien, le tricot devient écharpe. Non pas une destinée à soutenir le bras à réparer, cassé à cause de l'inadvertance ou de la témérité d'où découle la mauvaise chute, pas plus qu'une portée de travers sur le torse ou nouée à la taille pour marquer pompeusement l'événement officiel, bien sûr que non, mais une débordante de serviable douceur intime, gonflée d'une promesse généreuse de tendre tiédeur, pleine d'un présent simplissime de réconfort et de protection un rien maternels. Aux extrémités, deux bandes d'un jaune très tranquille renforcent par contraste, la teinte mauve un tantinet spirituelle, perceptible par l'oeil exercé, qui émane de la couleur terre pourrie de l'ensemble : couleur si délicate et bien mal nommée.

Allons, précisons-le, le terme exact est cache-nez. Ce cache-nez, donc, tout de mohair qu'il est, finit par atteindre ses ambitieux et colubriformes deux mètres vingt de long. De quoi faire des tours et des tours autour du cou avec un tel boa devin!

 

Nadine, dans la profondeur de chaque maille, avait lové un peu d'elle tant que le cache-nez, au porteur de qui il était destiné, ne pouvait taire l'injonctive préconisation suivante : "Je la porte en moi elle qui te porte en elle alors porte-moi et tu ne t'en porteras que mieux". Et en effet, il l'avait porté ce cache-nez, encore et encore, autour de sa gorge, contre son corps. Il l'avait enfoui maintes fois son nez dans l'hirsute et le moelleux de ce cache-nez, au moins pour y chercher une odeur d'elle par delà celle de la laine, une présence, qui sait, dans les alvéoles sybarites, déliées et affables. Il la sentait la résonance espérée, le lien ténu mais têtu les unissant, quand, la narine frémissante, il humectait la pilosité chérie d'une ou deux de ses larmes.

 

Blaise lui écrivait de longues et fréquentes lettres en jetant des syllabes comme elles des mailles, en flanquant des lignes comme elle des rangs, dévidant le fil de ces lettres d'un écheveau de mérite et de fidélité, puisant avec style l'inspiration au sein d'une pelote intérieure, nourrissant ses mots des fibres de la quenouille du coeur. L'ouvrage des sentiments complexes traçait son épistolaire bonhomme de chemin.

Nadine répondait aussi bien et aussi souvent qu'elle le pouvait à ces lettres, mais son truc à elle, c'était le tricot. Elle lui avait fait parvenir ce long long cache-nez comme l'enfant joueur envoie à travers la pièce la pelote, en prenant soin de ne pas lâcher le bout et en espérant que le chaton qu'il s'imagine ramingue s'attachera à jouer avec, suffisamment longtemps, le temps de l'approcher, de l'amadouer, pour le caresser voire l'attraper. Il fallait bien qu'il lui reste attaché et qu'un jour elle lui revienne.

A travers la distance quelque peu cruelle, en tout cas agaçante, bravant les tempêtes, dépassant les montagnes, franchissant océans et continents, protégée par la carène des soutes, leur correspondance faisait donc la navette. Leur dernier échange fut à propos des allées et venues serinées, des nuptiales envolées d'un couple d'oiseaux qu'ils observèrent chacun à leur bout de la terre et qui portaient au bec, l'un et l'autre, parfois une plume parfois un bout de laine pour aller rendre douillet le nid matrimonial.

 

Blaise est nu; il se balance doucement, le cache-nez autour du cou. Il tenait à n'avoir plus que ça sur lui. Une des extrémités, pendante, caresse légèrement son sexe en érection. Son regard est ailleurs comme perdu dans les limbes.
Il a repensé à ces chers moments où ils s'étaient revus, embrassés, touchés, découverts un peu plus, connus un peu mieux, et n'a pu s'ôter de la tête les contreparties encombrantes et navrantes, celles concernant la vie triviale, les obligations  rendant les différences incompatibles, qui avaient eu raison de leur relation, qui avaient fricoté contre leur union. Etaient-ce les vraies raisons? Après tout, nul n'a bien compris ce qui se passait. Disons qu'il y eut comme un dérapage de destins. Un jour, ils ne purent plus se toucher, se tripoter, se sentir, se couvrir de baisers, et puis pour finir ils ne s'écrivirent plus ni ne se tricotèrent.

Blaise se balance doucement, le cache-nez noué autour du cou, le regard ailleurs, perdu dans les limbes.

Il s'est émerveillé une dernière fois de cette charmante trame sans nom, indéfinissable à souhait, ainsi que de cette couleur mal nommée à teinte spirituelle qui parlait si bien d'elle. Une dernière fois car le voilà nu se balançant, le cache-nez à bandes jaunes lui serrant la gorge, le voilà nu se balançant, pendu.

Tag(s) : #Mes textes
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