Au fond de la cour empierrée et enherbée
pas toujours très bien tondue ni plane non plus,
ce sont toutes sortes de couleurs et de formes
qui dansent, se balancent avec nonchalance
dans la transparence et l'informe du zéphir
comme les drapeaux d'un défilé médiéviste.
Au fond de la cour traversée par l'arrondi
d'un amarante carrossable bout de chemin,
ondule molle farandole modilogue
de prune, d'orange, de pêche et de citron,
de rose, de fuchsia, de pervenche, de mauve
et de châtaigne et de noisette et de pistache.
Au fond de la cour, le long de la vive haie
d'ajoncs, de genêts, de châtaigniers, de bouleaux,
flottent l'organdi, la cretonne, l'andrinople,
la moleskine, la bengaline, l'indienne,
l'aléoutienne, l'algérienne, la flanelle,
la velventine, la popeline et le tulle.
Au fond de la cour où fleurit la pâquerette
et le pissenlit et où le grand plantain pousse,
entre des poteaux faits de tuyaux d'étable
et de tubes d'un ancien bureau d'écolier,
de téléphoniques noirs câbles d'extérieur
s'alignent, tendus en guise de fil à linge.
Au fond de la cour où, aux heures matinales,
on voit lombrics, crapauds, hérissons et lièvres,
le danois sur son kenar fait gonfler sa voile
pour vite rejoindre d'amicales rives,
le torero en habits de lumière excite
avec sa muleta le taureau ombrageux.
Au fond de la cour égayée des pépiements
des mésanges, moineaux, troglos, pinsons et merles,
Gillet donne des coups de coude à Pantalone,
Arlequin, à Colombinaison, des coups d'oeil,
à contre jour, un pavillon blanc qu'on dit sombre
laisse croire à une mort mais en cause une autre.
Au fond de la cour à la résille de vols
bourdonnants et fous d'insectes en tout genre,
des sweats à Spiderman, des T-shirts à Batman,
des jeans percés aux genoux, des slips wallabies,
des casquettes Mickey, des socquettes et des shorts,
l'humide cesse, petit à petit s'assèche.
Au fond de la cour des jeux et de l'insouciance,
des chahuts, galipettes et joies enfantines,
tout s'est envolé, over the rainbow, par là.
Oh tornade imparable, oh froissante tournure!
Que faire ou retenir? Nous voilà, aujourd'hui,
les fils nus, les pinces pendantes et moi-même.